07-08-2025
La diversité des caractéristiques sexuées est bien réelle
Manifestation pour les droits des personnes trans et non binaires à Montréal, en 2023. « La biologie fonctionne souvent par spectres, et non pas nécessairement en mode binaire », écrivent les auteurs.
Les auteurs souhaitent apporter des nuances à certaines conclusions du Comité des sages sur l'identité de genre, en particulier en ce qui a trait à une vision strictement binaire du sexe qui serait appuyée par la biologie, une approche trop simpliste, selon eux.
Guillaume Cyr
Professeur de didactique des sciences et technologie, Université du Québec en Outaouais
François Lorenzetti
Professeur de biologie, Université du Québec en Outaouais
et 21 autres signataires*
Dans son rapport sur l'identité de genre, le Comité des sages affirme que la biologie justifie une vision strictement binaire du sexe.
En tant que biologistes, didacticiennes et didacticiens des sciences, nous jugeons nécessaire de corriger cette lecture erronée. Si la reproduction sexuée repose sur deux gamètes, les caractéristiques sexuées des corps humains présentent une diversité bien documentée. L'identité de genre, pour sa part, est une réalité vécue qui, tout en n'étant pas complètement indépendante de la biologie, dépasse largement ce cadre. Son analyse relève d'autres disciplines et expériences que nous respectons.
La diversité des caractéristiques sexuées
Tout au long de son développement, le corps humain est l'objet d'un processus de sexuation aux niveaux chromosomique, génétique, hormonal et environnemental. Comme la diversité biologique est l'un des principes de base de toute reproduction sexuée, les corps présentent une panoplie de possibilités et d'interactions génétiques, anatomiques et physiologiques, comme en témoigne, par exemple, la variété de couleurs des yeux.
Autrement dit, la biologie fonctionne souvent par spectres, et non pas nécessairement en mode binaire. Il en va de même pour nos caractéristiques sexuées. Celles-ci sont nombreuses. Par exemple, les gonades primordiales peuvent se développer en ovaires, en ovotestis ou en testicules ; les corps érectiles peuvent se développer en clitoris, en pénis ou en un organe intermédiaire ; et les tissus labioscrotaux peuvent se développer en grandes lèvres, en scrotum ou en des tissus partiellement fusionnés.
Même au niveau chromosomique, la réalité sexuée est loin d'être binaire, même si certaines combinaisons, nous le reconnaissons, sont largement plus fréquentes. La 23e combinaison de chromosomes peut en effet présenter des variations (XX, XY, XXY, XXX, etc.), mais des gènes sur d'autres combinaisons participent également au développement sexué du corps humain.
Le terme « sexe » a fait l'objet de plusieurs définitions, et l'une d'elles renvoie à une caractéristique effectivement binaire : ce sont les gamètes que nous produisons. Pour la fécondation, un exemplaire de chacun des gamètes est nécessaire, soit un ovule et un spermatozoïde. Nous ne nions pas le caractère binaire de la reproduction sexuée au niveau de la complémentarité des gamètes.
Cependant, dans le règne animal dont l'humain fait partie, cette binarité des gamètes ne se traduit pas systématiquement par une binarité fixe et immuable des individus ni par une unique façon d'être prototypiquement « mâle » ou « femelle ».
La notion de sexe englobe des variations profondes dans la physiologie, le comportement et le cycle de vie des organismes, dont plusieurs se retrouvent chez les humains.
La médicalisation
Affirmer que le sexe est nécessairement binaire, comme le Comité des sages le préconise, suppose de considérer les variations qui dérogent des normes binaires comme étant des maladies. C'est ce qui a conduit à des décennies d'interventions médicales non consenties et non nécessaires, voire nuisibles, auprès des personnes intersexes. Celles-ci ont d'ailleurs encore lieu au Québec. Nous vous invitons à consulter les témoignages et les avis éclairés des personnes expertes intersexes1.
Tout comme l'homosexualité et la transidentité ne sont plus considérées comme des maladies par le milieu médical, il est possible de considérer les variations intersexes comme n'étant que l'expression de la diversité des caractéristiques des corps humains.
Réalité ou vulgarisation ?
Le Comité fait part de ses craintes quant à la négation de la réalité. Or, cette vision réductrice du sexe comme étant binaire correspond à une manière de simplifier la réalité, plutôt qu'à la réalité elle-même. Si, dans la majorité des cas, la production des gamètes suit en effet une logique binaire, cette classification n'est pas neutre et peut avoir des répercussions négatives sur les minorités sexuelles. D'autres options existent pour conceptualiser et vulgariser cette réalité, mais l'idée de l'existence d'un « troisième sexe » n'en est pas une.
Le Comité des sages présente à tort les critiques de la binarité du sexe comme prônant une « troisième catégorie » unique. Or, le document qu'il cite n'impose ni nouvelle case ni rejet des repères traditionnels2. Il reconnaît simplement que certaines trajectoires ne s'y inscrivent pas aisément. Cela n'empêche en rien qu'une personne s'identifie comme femme ou homme. C'est l'admission de la variabilité comme principe qui compte, pas l'existence d'un nombre, quel qu'il soit, de casiers étiquetés dans lesquels il apparaîtrait nécessaire, par réflexe essentialiste, d'enfermer les personnes. Il en va de même pour l'acceptation de la diversité des orientations sexuelles ; elle ne remet pas en cause l'hétérosexualité. La biologie n'est pas contredite ; elle est simplement mieux comprise.
L'idée de simplement considérer que les caractéristiques sexuées des corps humains puissent présenter de la variabilité est une voie intéressante et capable de rendre compte d'un plus grand nombre d'observations et de réalités.
De manière simplifiée, l'idée d'un ou de plusieurs spectres constitue une vulgarisation intéressante qui ne manque d'aucune rigueur, et qui ne nie aucune réalité biologique observable. De plus, elle permet de ne pas médicaliser des variations anatomiques qui n'entraînent pas de problèmes de santé, et se montre donc plus inclusive des réalités des personnes intersexes.
* Cosignataires : Dominique Dubuc, enseignante de biologie, cégep de Sherbrooke, Patrice Babeux, professeur de biologie, cégep de Lévis, Yannick Skelling-Desmeules, chargé de cours en didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Patrice Potvin, professeur de didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Geneviève Allaire-Duquette, professeure de didactique des sciences et technologies, Université du Québec en Outaouais, Pierre Chastenay, professeur de didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Maeva Badré, doctorante en sciences biomédicales, faculté de médecine de l'Université de Genève, Isabelle Arseneau, professeure d'éducation spécialisée en didactique des sciences, Université du Québec à Rimouski, Yann Surget-Groba, professeur de biologie, Université du Québec en Outaouais, Catherine Mounier, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Karine Dufresne, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Claire Bénard, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Alain Paquette, professeur de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Daniel Kneeshaw, professeur de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Vanessa Poirier, candidate au doctorat en sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Morgane Urli, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Karine Pedneault, professeure de biochimie, Université du Québec en Outaouais, Laura Schillé, postdoctorante en sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Maxime Corriveau, chargé de cours en didactique des sciences, Université Laval, Simon Duguay, chargé de cours en didactique des sciences, Université Laval, Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières
1. Lisez la lettre « La création des personnes intersexes »
2. Consultez la page sur l'identité de genre de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada
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